Page:Ségur - Jean qui grogne et Jean qui rit.djvu/35

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tantes. Et ne voilà-t-il pas, à présent, qu’elle m’envoie me perdre à Paris, au lieu de me garder chez elle.

« Jean est bien plus heureux, lui ; il est toujours gai, toujours content ; tout le monde l’aime ; chacun lui dit un mot aimable. Et moi ! personne ne me regarde seulement ; et quand par hasard on me parle, c’est pour m’appeler pleurard, maussade, ennuyeux, et d’autres mots aussi peu aimables.

« Et on veut que je sois gai ? Il y a de quoi, vraiment ! Ma bourse est bien garnie ! Deux francs que le curé m’a donnés ! Et Jean qui ne sait seulement pas son compte, tant il en a ! Tout le monde y a mis quelque chose, a dit ma tante… Je suis bien malheureux ! rien ne me réussit ! »

Tout en réfléchissant et en s’affligeant, Jeannot avait ralenti le pas sans y songer. Quand le souvenir de sa position lui revint, il leva les yeux, regarda devant, derrière, à droite, à gauche ; il ne vit plus son cousin Jean. La frayeur qu’il ressentit fut si vive que ses jambes tremblèrent sous lui ; il fut obligé de s’arrêter, et il n’eut même pas la force d’appeler.

Après quelques instants de cette grande émotion, il retrouva l’usage de ses jambes, et il se mit à courir pour rattraper Jean. La route était étroite, bordée de bois taillis : elle serpentait beaucoup dans le bois ; Jean pouvait donc ne pas être très éloigné sans que Jeannot pût l’apercevoir. Dans un des tournants du chemin, il vit confusément une petite chapelle, et il allait la dépasser, toujours