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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

ment sans se permettre le moindre bond, ni aucun changement dans son pas régulier, de peur d’éveiller l’enfant. L’homme questionnait Jacques tout en marchant ; il apprit de lui que sa mère était morte après avoir été longtemps malade, qu’on avait vendu tous leurs beaux habits et leurs jolis meubles ; qu’à la fin ils ne mangeaient plus que du pain, que leur papa était toujours triste et cherchait de l’ouvrage.

« Un jour, dit-il, les gendarmes sont venus chercher papa ; il ne voulait pas aller avec eux ; il disait toujours en nous embrassant : « Mes pauvres enfants ! mes pauvres enfants ! » Les gendarmes disaient : « Il faut venir tout de même, mon garçon ; nous avons des ordres. » Puis un gendarme m’a donné un morceau de pain et m’a dit : « Reste là avec ton frère, petit ; je reviendrai vous prendre. » J’ai donné du pain à Paul, et j’ai attendu un bout de temps ; mais personne n’est venu ; alors j’ai pris Paul par la main et nous avons marché longtemps. J’ai vu une maison où on mangeait, j’ai demandé de la soupe pour Paul ; on nous a fait asseoir à table, et on a donné une grande assiette de soupe à Paul, et à moi aussi ; puis on nous a fait coucher sur de la paille. Quand nous avons été éveillés, on nous a donné du lait et du pain ; puis on nous a mis du pain dans nos poches, et on m’a dit : « Va, mon petit, à la garde de Dieu. » Je suis parti avec Paul, et nous avons marché comme cela pendant bien des jours. Hier la pluie est venue, je n’ai pas trouvé de maison, j’ai donné à Paul le pain que j’avais gardé. Je lui ai ramassé des feuilles sous le chêne ; il pleurait parce qu’il avait froid ; alors j’ai pensé que maman m’avait dit : « Prie la sainte Vierge, elle ne t’abandonnera pas. » J’ai prié la sainte Vierge ; elle m’a donné l’idée d’ôter ma veste pour cou-