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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

frère, un ami. Quelques-uns revenaient avec une jambe ou un bras de moins, ou des blessures qui les rendaient incapables de continuer leur service.

Un matin, Jacques et Paul balayaient le devant de la porte de l’Ange-Gardien ; madame Blidot et Elfy préparaient le dîner, lorsqu’un homme, qui s’était approché sans bruit, arrêta doucement le balai de Paul. Celui-ci se retourna et se mit à crier :

« Jacques, au secours ! on me prend mon balai. »

Jacques bondit vers son frère pour le défendre énergiquement, lorsqu’un regard jeté sur le prétendu voleur lui fit abandonner son balai ; il se précipita dans les bras de l’homme en criant :

« Maman ! ma tante ! M. Moutier, notre bon M. Moutier ! »


Maman ! ma tante ! voilà M. Moutier.

Madame Blidot et Elfy apparurent immédiatement et se trouvèrent en face de Moutier, qui laissa Jacques et Paul pour donner un cordial bonjour à ses deux amies. Ce fut un moment de grande joie. Tous parlaient à la fois et faisaient mille questions sans donner le temps d’y répondre. Enfin, Moutier parvint à faire comprendre pourquoi il n’avait plus donné de ses nouvelles.

« Peu de temps après mon retour au pays, mes bonnes hôtesses, j’appris qu’il courait des bruits de guerre avec la Russie. Je n’avais jamais eu de rencontre avec les Russes, puisque nous étions en paix avec eux ; je savais qu’ils se battaient bien, que c’étaient de braves soldats. J’avais fait mon temps, il est vrai, mais… un soldat reste toujours soldat. J’avais quelque chose dans le cœur qui me poussait à rejoindre mes anciens camarades ; quand la guerre fut déclarée, je repris un engagement pour deux ans dans les zouaves, et je partis. Depuis ce jour, impossible d’écrire. Toujours en campagne.