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L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN.

Et quelle campagne ! Au débarquer à Gallipoli, un choléra qui faillit m’emporter ; à peine rétabli, des marches, des contre-marches, une descente en Crimée, une bataille à Alma comme on n’en avait jamais vu ; sans vanité nous nous sommes tous battus comme des lions. Je ne parle pas des Anglais, qui, selon leur habitude, se sont trouvés en retard parce que leur rosbif et leur poudding n’étaient pas cuits. Mais nous autres, nous avons fait ce qu’aucun peuple au monde ne pourra refaire. Nous avons grimpé des rochers à pic sous une grêle de balles et de mitraille ; nous avons chassé les Russes du plateau où ils s’étaient très-joliment installés. Ces pauvres gens ! Ah ! j’en ris encore ! En nous voyant escalader ces rochers et monter, monter toujours, ils nous ont pris pour des diables, et, après un échange de coups désespérés, ils se sont sauvés et ont couru si vite, que plus de moitié se sont échappés. Leur général, le prince Mentchikoff, qui était là pour voir comme on nous culbuterait de dessus les rochers, a failli être pris. Il s’est sauvé laissant sa voiture, ses effets, ses papiers et tout. — Après, est venu le siége de Sébastopol ; belle chose, ma foi. Belles batailles ! bien attaqué, bien défendu. À Inkermann, au camp des Anglais, les Russes les ont rossés et en ont tué l’impossible comme à Balaklava. Mais nous étions accourus, nous autres Français, et nous avons à notre tour fait une marmelade de ces pauvres Russes, qui se battaient comme des lions, il n’y a pas de reproches à leur faire ; mais le moyen de résister à des Français bien commandés ! Je passe sur les détails du siége, qui a été magnifique et terrible, et j’arrive à Malakoff, un de ces combats flambants, où chaque soldat est un héros, et où chacun a mérité la croix et un grade. Là, j’ai attrapé deux balles, une dans le bras