Page:Ségur - Les Bons Enfants, édition 1893.djvu/181

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de son ennemi invisible, et il se retira précipitamment ; les pierres le poursuivirent jusqu’à la porte de sa maison. Rentré chez lui, il se bassina avec de l’eau fraîche. Quand il eut fini, la terrine qui contenait l’eau lui sauta à la figure et l’inonda des pieds à la tête ; au même moment, la cruche en fit autant, puis le pot à eau, puis la bouteille d’huile et un grand pot de lait qui contenait son déjeuner du lendemain.

Effrayé, suffoqué, Esbrouffe tomba sur une chaise ; cette fois il ne cria pas, il pleura.

« Que faire ? Que devenir ? Où me cacher ? Comment éviter ce démon qui m’assomme de coups, qui me fait mourir de faim, qui me vole mon pauvre argent, qui m’inonde de saletés ?

— Corrige-toi, lui dit une voix ; deviens juste et bon, et on te laissera en paix, ou bien quitte le pays. »

Esbrouffe ne répondit pas ; mais il se dit en lui-même qu’il serait trop pénible d’être juste et bon, et qu’il aimait mieux rester comme il était et quitter le pays.

Il fut obligé de se laver des pieds à la tête et de changer de vêtements ; les siens étaient pleins d’eau, d’huile, de crème.

Lamalice était rentrée sans que sa cousine se fût aperçue de son absence. Pendant leur repas, la mère Sanscœur reparla plusieurs fois d’Esbrouffe et de la scène bizarre qu’il avait faite.

« Ce que je comprends moins encore, dit-elle, ce sont les quinze francs qu’il m’a donnés… Ah !