Page:Ségur - Les Bons Enfants, édition 1893.djvu/336

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Ma tante n’osait pas demander son domestique, tant elle craignait d’irriter l’assassin et de hâter l’exécution du crime auquel elle voulait se soustraire ; elle se mit à table comme pour dîner et dit à sa femme de chambre de manger avec elle ; ensuite elle demanda une bouteille de bière. L’aubergiste sortit. Ma tante se dépêcha de mettre dans des assiettes de la soupe et de la viande, salit deux couverts et jeta le contenu des assiettes dans un seau qui se trouvait sous le lit.

« C’est pour lui faire croire que nous avons mangé, dit-elle à sa femme de chambre étonnée : il y a peut-être du poison dans tout ceci. »

L’aubergiste rentra apportant une bouteille de bière. Ma tante s’en versa un verre, mais se garda d’y tremper les lèvres. Quand l’aubergiste fut parti, elle vida la bière dans le même seau où elle avait jeté la soupe et le ragoût.

Bientôt tout fut tranquille dans la maison ; Pulchérie s’était retirée dans sa chambre sur l’invitation de l’aubergiste. Ma tante songea à exécuter son projet de fuite, elle voulut ouvrir la porte qui donnait sur le corridor ; ses efforts furent vains : elle était fermée à double tour. Plus convaincue que jamais que l’aubergiste ne tarderait pas à venir l’égorger, elle ouvrit la fenêtre sans bruit, descendit lestement à terre et se dirigea vers la fenêtre de Pulchérie ; mais elle eut beau frapper au carreau, d’abord doucement, puis plus fort, personne ne répondit, et la fenêtre resta fermée. Que faire, que devenir, seule, à la pluie, au vent ? La nuit était