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Kermadio, 17 octobre 1870.

Mon cher petit Jacques chéri… je suis condamnée à ne pas te voir cette année et peut-être de tout l’hiver ; je serai peut-être obligée de passer l’hiver à Kermadio ; pourtant, si Vaugirard se remet et que tu puisses y rentrer, j’irais passer deux mois à Paris pour te voir ; je te mènerais à Pâques à Livet et je te ramènerais à Paris avant de retourner à Kermadio…

Le temps est superbe et doux le jour, froid et humide la nuit. C’est bon pour les Prussiens et leurs dysenteries et typhus. Pauvres malheureux ! On est obligé de se réjouir de leurs souffrances, malgré qu’ils soient là par force et avec désespoir ; on dit qu’ils sont si découragés, si désolés, qu’ils font leur possible pour se l’aire prendre prisonniers. Tu sais que ces sauvages ont brûlé le beau château de Saint-Cloud, pour se venger de leurs dernières grandes défaites par le général Trechu ; je crains beaucoup qu’ils n’en fassent autant de Versailles, quand ils seront obligés d’en déguerpir. Déjà, ils ont établi des ambulances dans le palais, et pour se désennuyer, ils tirent à balles dans les beaux tableaux, les statues, les glaces. Des sauvages ne feraient pas de pareils vandalismes. Dis-moi si tu as des livres pour te récréer, et si tu ne t’ennuies pas quelquefois ; fais-tu de longues promenades[1] ? Le pays est-il joli ? À quelle distance es-tu de Bordeaux[2] ? et du chemin de fer ?….. Ton oncle Gaston ne sait pas du tout quand il pourra retourner à Paris ; peut-être passera-t-il l’hiver à Kermadio avec moi. Ton oncle Anatole est décidé à passer l’hiver aux Nouettes. Adieu, mon cher bon petit ; je t’embrasse bien tendrement. Réponds-moi sur le collège : quel est ton désir ? n’affranchis pas tes lettres ;

  1. WS typo : promedes -> promenades
  2. WS typo : Bornadeaux -> Bordeaux