Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/248

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sait l’amitié qu’avaient pour moi tous mes jeunes maîtres, et il me laissa aller comme je voulais. J’eus soin, tout le long du bois, de passer tout près des broussailles et surtout des grandes épines, des houx, des ronces, afin que le visage de mon cavalier fut balayé par les branches piquantes de ces arbustes. Il s’en plaignit à Henri, qui lui répondit froidement :

« Cadichon ne mène mal que les gens qu’il n’aime pas : il est probable que tu n’es pas dans ses bonnes grâces. »

Nous reprîmes bientôt le chemin de la maison ; cette promenade n’amusait pas Henri et Pierre, qui entendaient sans cesse geindre Auguste, que de nouvelles branches venaient cingler au travers du visage ; il était griffé à faire plaisir ; j’avais tout lieu de croire qu’il ne s’amusait guère plus que ses camarades. Mon affreux projet allait s’effectuer. En revenant par la ferme, nous longions un trou ou plutôt un fossé dans lequel venait aboutir le conduit qui recevait les eaux grasses et sales de la cuisine ; on y jetait toutes sortes d’immondices, qui, pourrissant dans l’eau de vaisselle, formaient une boue noire et puante. J’avais laissé passer Pierre et Henri devant ; arrivé près de ce fossé, je fis un bond vers le bord et une ruade qui lança Auguste au beau milieu de la bourbe. Je restai tranquillement à le voir patauger dans cette boue noire et infecte qui l’aveuglait.

Il voulut crier, mais l’eau sale lui entrait dans la