Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/283

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Je méprisais ce camarade ; je passais toujours devant lui, je ruais et je le mordais s’il cherchait à me dépasser ; le pauvre animal avait fini par me céder toujours la première place, et se soumettre à toutes mes volontés. Le soir, quand l’heure fut venue de rentrer à l’écurie, je me trouvai près de la porte presque en même temps que mon camarade ; il se rangea avec empressement pour me laisser entrer le premier ; mais, comme il était arrivé quelques pas en avant de moi, je m’arrêtai à mon tour et je lui fis signe de passer. Le pauvre âne m’obéit en tremblant, inquiet de ma politesse, et craignant que je ne le fisse marcher le premier pour lui jouer quelque tour, par exemple pour lui donner un coup de dent ou un coup de pied. Il fut très étonné de se trouver sain et sauf dans sa stalle, et de me voir placer paisiblement dans la mienne.

Voyant son étonnement, je lui dis :

« Mon frère, j’ai été méchant pour vous, je ne le serai plus ; j’ai été fier, je ne le serai jamais, je vous ai méprisé, humilié, maltraité, je ne recommencerai pas. Pardonnez-moi, frère, et à l’avenir voyez en moi un camarade, un ami.

— Merci, frère, me répondit le pauvre âne tout joyeux ; j’étais malheureux, je serai heureux ; j’étais triste, je serai gai ; je me trouvais seul, je me sentirai aimé et protégé. Merci encore une fois, frère ; aimez-moi, car je vous aime déjà.

— À mon tour, frère, à vous dire merci, car