Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/284

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j’ai été méchant, et vous me pardonnez ; je reviens à de meilleurs sentiments, et vous me recevez ; je veux vous aimer et vous me donnez votre amitié. Oui, à mon tour, merci, frère. »

Et, tout en mangeant notre souper, nous continuâmes à causer. C’était la première fois, car jamais je n’avais daigné lui parler. Je le trouvai bien meilleur, bien plus sage que je ne l’étais moi-même, et je lui demandai de me soutenir dans ma nouvelle voie ; il me le promit avec autant d’affection que de modestie.

Les chevaux, témoins de notre conversation et de ma douceur inaccoutumée, se regardaient et me regardaient avec surprise. Quoiqu’ils parlassent bas, je les entendais dire :

« C’est une farce de Cadichon, dit le premier cheval ; il veut jouer quelque tour à son camarade.

— Pauvre âne, j’ai pitié de lui, dit le second cheval. Si nous lui disions de se méfier de son ennemi ?

— Pas tout de suite, répondit le premier cheval. Silence ! Cadichon est méchant. S’il nous entend, il se vengera. »

Je fus blessé de la mauvaise opinion qu’avaient de moi ces deux chevaux, le troisième n’avait pas parlé ; il avait passé sa tête sur la stalle, et il m’observait attentivement. Je le regardai tristement et humblement. Il parut surpris, mais il ne bougea pas, et resta silencieux, m’observant toujours.