Aller au contenu

Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Non, d’honneur, répondit Hutfer ; je ne m’y attendais seulement pas.

— À présent, Mirliflore, dit l’homme, va chercher quelque chose, n’importe quoi, ce que tu pourras trouver, et donne-le à l’homme le plus pauvre de la société. »

Je me dirigeai vers la salle où l’on venait de dîner, je saisis un pain, et, le rapportant en triomphe, je le remis entre les mains de mon nouveau maître. Rire général, tout le monde applaudit, un ami s’écria : « Ceci ne vient pas de vous, père Hutfer ; cet âne a réellement du savoir ; il a bien profité des leçons de son maître. »

« Allez-vous lui laisser son pain tout de même ? dit quelqu’un dans la foule.

— Pour ça, non, dit Hutfer ; rendez-moi cela, l’homme à l’âne ; ce n’est pas dans nos conventions.

— C’est vrai, répondit l’homme ; et pourtant mon âne a dit vrai en faisant de moi l’homme le plus pauvre de la société, car nous n’avions pas mangé depuis hier matin, ma femme, mon fils et moi, faute de deux sous pour acheter un morceau de pain.

— Laissez-leur ce pain, mon père, dit Henriette Hutfer ; nous n’en manquons pas dans la huche, et le bon Dieu nous fera regagner celui-ci.

— Tu es toujours comme ça, toi, Henriette, dit Hutfer. Si on t’écoutait, on donnerait tout ce qu’on a.