Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/294

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— Nous n’en sommes pas plus pauvres, mon père : le bon Dieu a toujours béni nos récoltes et notre maison.

— Allons… puisque tu le veux… qu’il garde son pain, je le veux bien. »

À ces mots, j’allai à lui et le saluai profondément, puis j’allai prendre dans mes dents une petite terrine vide, et je la présentai à chacun pour qu’il y mît son aumône. Quand j’eus fini ma tournée, la terrine était pleine ; j’allai la vider dans les mains de mon maître, je la reportai où je l’avais prise, je saluai et je me retirai gravement aux applaudissements de la société.

J’avais le cœur content ; je me sentais consolé et affermi dans mes bonnes résolutions. Mon nouveau maître paraissait enchanté ; il allait se retirer, lorsque tout le monde l’entoura et le pria de donner une seconde représentation le lendemain ; il le promit avec empressement, et alla se reposer dans la salle avec sa femme et son fils.

Quand ils se trouvèrent seuls, la femme regarda de tous côtés, et, ne voyant que moi, la tête posée sur l’appui de la fenêtre, elle dit à son mari à voix basse :

« Dis donc, mon homme, c’est tout de même fort drôle ; est-ce singulier, cet âne qui nous arrive sortant d’un cimetière, qui nous prend en gré, et qui nous fait gagner de l’argent ! Combien en as-tu dans tes mains ?

— Je n’ai pas encore compté, répondit l’homme.