Page:Ségur - Mémoires d’un âne.djvu/299

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connaissait, et personne ne s’occupait de moi. À la fin de la journée, Henriette Hutfer entra à l’écurie, regarda si chacun avait ce qu’il fallait, et, m’apercevant dans mon coin humide et obscur, sans litière, sans foin, ni avoine, elle appela un des garçons d’écurie.

« Ferdinand, dit-elle, donnez de la paille à ce pauvre âne pour qu’il ne couche pas sur la terre humide, mettez devant lui un picotin d’avoine et une botte de foin, et voyez s’il ne veut pas boire.

Ferdinand.

Mam’zelle Henriette, vous ruinerez votre papa, vous êtes trop soigneuse pour le monde. Que vous importe que cette bête couche sur la dure ou sur une bonne litière ? c’est de la paille gâchée, ça !

Henriette.

Vous ne trouvez pas que je suis trop bonne quand c’est vous que je soigne, Ferdinand ; je veux que tout le monde soit bien traité ici, les bêtes comme les hommes.

Ferdinand, d’un air malin.

Sans compter qu’il y a pas mal d’hommes qu’on prendrait volontiers pour des bêtes, quoiqu’ils marchent sur deux pieds.

Henriette, souriant.

Voilà pourquoi on dit : Bête à manger du foin.

Ferdinand.

Ce ne sera toujours pas à vous, mam’zelle, que je servirai une botte de foin. Vous avez de l’esprit… de l’esprit… et de la malice comme un singe !