Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/100

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d’insulter leurs parents, et les pauvres, qui font les dix-neuf vingtièmes de la population, de se ruer sur les riches, de les égorger pour les voler, et de renverser le gouvernement pour se mettre à sa place.

On faisait donc la part du feu ou plutôt des ténèbres ; on abandonnait au christianisme les femmes, les pauvres, les gens du peuple, les petits, en un mot, toutes les âmes viles de la société mais on gardait pour soi, pour la philosophie, pour la lumière, tous les gens comme il faut, depuis les sommets sociaux jusqu’à la petite bourgeoisie : c’était l’arche sainte à laquelle l’Église ne devait pas toucher, le camp de la raison pure où l’on prétendait et où l’on croyait régner sans partage. Et c’est au milieu de ces aveuglements, de ces prétentions plus puériles encore qu’odieuses, que resplendit tout à coup le grand événement des Conférences de Notre-Dame, de la retraite et de la communion générale.

Si les voltairiens et les universitaires pâlirent, si, à un étage inférieur de l’intelligence, les esprits forts de boutique et les apôtres de cabaret frémirent d’indignation et éclatèrent en murmures contre les jésuites et le gouvernement libéral qui laissait s’accomplir de pareils scandales en plein dix-neuvième siècle, les catholiques sentirent leur âme inondée de joie à la vue du magnifique spectacle qu’offrit ce jour-là l’église de Notre-Dame. Dès sept heures du matin, la nef de l’immense métropole était remplie d’hommes graves, recueillis, silencieux, se laissant guider, placer, ranger à côté les uns des autres par les prêtres de la cathédrale, comme de petits enfants qui vont faire leur première communion ; et qui sait, en effet, si, dans cette foule de chrétiens, il n’y en avait pas un grand nombre pour lesquels cette communion pascale devait être la première !