Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sommé, sa dépouille mortelle revint triomphalement, comme celle des martyrs et des saints, au milieu d’un peuple immense, ému de douleur, d’admiration et d’amour.

Ô profondeur cachée des desseins de Dieu ! Ainsi s’était accomplie à la lettre cette parole mystérieuse que, par une sorte d’inspiration prophétique, le saint prélat avait prononcée en montant sur le trône archiépiscopal : « La paix soit avec vous : nous ne venons ni gouverner ni troubler la cité, mais offrir une victime[1] ! »

J’eus la consolation, au sortir des horreurs de cette guerre civile, alors que fumaient encore les ruines qu’elle avait faites et le sang qu’elle avait répandu comme l’eau, de contempler le saint archevêque, sa plus pure victime, sur le lit funèbre où il fut exposé durant plusieurs jours avant ses funérailles. Hélas ! c’était sur cette même couche qu’il venait de rendre le dernier soupir après d’affreuses souffrances héroïquement supportées. C’est là qu’offrant à Dieu en sacrifice ses dernières douleurs comme il avait offert sa vie, il s’écriait : « Mon Dieu ! si je souffre, je l’ai bien mérité ; mais votre peuple, votre pauvre peuple, faites-lui miséricorde : parce, Domine, parce, populo tuo ! » C’était là qu’il disait à ceux qui l’entouraient en pleurant : « Ce n’est point pour ma guérison qu’il faut prier, mais pour que ma mort soit sainte ! » et qu’il répétait de sa bouche mourante ces touchantes paroles : « Je désire que mon sang soit le dernier versé ! »

Maintenant il ne souffrait plus : le sacrifice était accompli, l’heure du repos et de la gloire était arrivée. Étendu sur sa couche mortuaire, il était revêtu de ses ornements pontificaux ses mains froides, d’une blan-

  1. Voyez le mandement de prise de possession de Monseigneur Affre, en date du 6 août 1840.