Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épouvantable décharge de mitraille s’abattit comme la foudre sur la tranchée, qu’elle enveloppa comme un ouragan de feu. Les cris des blessés et des mourants répondirent à cette horrible explosion.

Au milieu de ces gémissements, le général Vinoy, demeuré seul intact et debout, en distingua un plus déchirant que les autres, parce qu’il semblait partir du fond de l’âme : c’était Hélion de Villeneuve qui venait de tomber en s’écriant : « Ah ! ma mère ! »

Le général se pencha vers lui et le vit tout sanglant. Il lui demanda où il était blessé ; Villeneuve lui dit que c’était au visage. En effet, un biscaïen l’avait atteint au menton et lui avait fracassé la mâchoire inférieure. Le général Vinoy essaya de le rassurer sur la gravité de sa blessure, lui dit qu’il venait de gagner ses épaulettes d’officier, et le fit transporter par des soldats à l’ambulance la plus voisine, en recommandant qu’on prît de lui un soin tout particulier. Les soldats revinrent peu de temps après, et dirent au général que les médecins avaient fait le premier pansement, et qu’ils ne croyaient point la blessure dangereuse. Ils ajoutaient que le blessé venait de partir pour l’ambulance de la deuxième division du deuxième corps, où il trouverait des soins plus complets et plus faciles.

Il lui fallut, en effet, subir ce nouveau trajet de plus de deux lieues, qui le fit cruellement souffrir, et il arriva à l’ambulance, où l’attendaient de nouvelles souffrances et la mort. Sa mâchoire était tellement brisée, que les médecins jugèrent une opération nécessaire. L’héroïque jeune homme se remit entre leurs mains, et leur dit qu’ils pouvaient commencer mais, auparavant, il avait demandé qu’on prévînt l’aumônier et qu’on le lui amenât le plus tôt possible.

L’opération fut aussi horrible que longue. Durant tout