Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/170

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de Villeneuve, et qui l’avaient enseveli. Avec toutes ces indications qui concordaient et se corroboraient l’une l’autre jusqu’à l’évidence, il fut facile de retrouver et d’exhumer son cercueil. L’opération se fit à la lueur des torches, à dix heures du soir ; le maréchal Pélissier, craignant un effet moral fâcheux, n’avait pas voulu qu’elle eût lieu en plein jour. En quelques minutes, les fossoyeurs eurent enlevé la terre, et le cercueil fait en bois de caisse de biscuit, qui renfermait les restes du noble jeune homme, apparut aux yeux. On l’enleva et on le chargea sur une voiture qui le porta sur l’heure à Kamiesch : il était parfaitement intact et n’exhalait aucune odeur.

À Kamiesch, on le plaça dans un autre cercueil plus vaste et plus solide encore, sur lequel l’aumônier fit appliquer une croix de fer battu. Puis le prêtre de Jésus-Christ s’embarqua avec son précieux fardeau, veilla sur lui avec une sollicitude touchante, et revint à Marseille après une traversée de douze jours, gravement malade d’une fluxion de poitrine, mais n’ayant pas quitté un instant le cercueil, objet de sa mission et de son dévouement.

En touchant le port de Marseille, la dépouille mortelle d’Hélion de Villeneuve fut reçue par sa mère, qui, poussée en avant par son impatience et son amour pour son fils, attendait depuis trois jours déjà l’arrivée du fatal et bienheureux navire. Elle avait passé ces trois jours dans un hôtel de la ville, en proie à une agitation inexprimable, et tourmentée par cette inquiétude de l’attente, le plus pénible peut-être et le plus dévorant de tous les supplices ! On devait accourir du port de la Joliette, où débarquent la plupart des bâtiments de guerre, pour la prévenir à l’instant même où l’on apercevrait le navire tant désiré. Craignant de n’être pas là au moment où cette nouvelle arriverait, elle passa ces trois jours entiers renfermée dans sa chambre, ne sortant que le matin pour