sieurs années d’intervalle des voyageurs de tout pays et de toute condition et, malgré la confiance que nous inspiraient ces relations et ces récits, ou plutôt à cause de cette confiance même, nous éprouvions le violent désir de faire à notre tour ce long pèlerinage, et de voir de nos yeux, de toucher de nos mains, ce que tant d’autres avaient vu et admiré avant nous.
Dans ce siècle qui regarde avec tant d’ardeur les choses de la terre et qui marche les pieds et les mains dans la matière et le dos tourné au ciel, la grande erreur des incrédules et la grande infirmité de ceux-là mêmes qui se disent et qui se croient chrétiens, c’est de nier le monde surnaturel, ou du moins de n’accepter ses manifestations qu’avec une défiance et une répugnance qui équivalent presque à une négation. Il suffit qu’un récit de cette nature soit de seconde ou de troisième main pour qu’on en conteste l’exactitude et la véracité, et pour que l’auditeur poli vous réponde par la gracieuse et irréprochable impertinence d’un sourire, ou par les mots d’exagération et de crédulité qu’il laisse tomber de sa bouche et qui répondent à tout.
De là notre désir de constater par nous-mêmes les faits merveilleux qui nous avaient été attestés par tant de témoins dignes de foi, afin de pouvoir dire au retour aux partisans de notre croyance comme à ses adversaires : « Voici ce que j’ai vu, voici ce que j’ai entendu : écoutez, jugez, et concluez avec ou contre nous. »
Nous résolûmes donc d’aller au Tyrol visiter ces pieuses servantes de Jésus-Christ, mais un peu comme le bon La Fontaine, en prenant le plus long, c’est-à-dire en traversant la Suisse, en visitant les Îles Borromées et Milan et en gagnant le Tyrol par le lac de Côme et la Valteline. De cette façon nous suivions une route admirable, au milieu des plus belles montagnes, des plus ravissantes