Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/19

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arbre voisin, qui, volant doucement, vint déposer près d’eux un pain de pur froment et disparut à tire-d’aile. Tel, dans l’Ancien Testament, nous voyons Dieu nourrir au désert son prophète Élie.

– Ah ! dit saint Paul, voyez la bonté du Seigneur, qui nous envoie notre nourriture ! Il y a soixante ans que je reçois tous les jours la moitié d’un pain : à votre arrivée, Jésus-Christ a doublé la portion.

Alors ils prièrent et s’assirent au bord de la fontaine pour manger. C’était parmi les chrétiens une marque de primauté de rompre le pain, et chacun des deux saints vieillards voulait, par humilité, laisser à l’autre cet honneur : Paul alléguait l’hospitalité, Antoine le privilège de l’âge ; enfin, pour se mettre d’accord, ils rompirent le pain tous deux en même temps. Simplicité touchante qui fait sourire et qui attendrit jusqu’aux larmes. Tout ce récit de l’entrevue de des bienheureux vieillards ne semble-t-il pas descendu du ciel, et ne croirait-on pas lire une page de l’Ancien Testament ? Oh ! l’admirable spectacle que celui d’une telle humilité dans une si éminente vertu, d’une grâce si enjouée dans une vie si austère ! Tels, pleins de simplicité, de douceur et de force, devaient être les patriarches sous leurs tentes antiques ; tels les prophètes dans leurs montagnes sacrées telle, mais plus grande encore, Marie, la sainte mère de Dieu, dans l’humble maison de Nazareth.

Après avoir mangé le pain du Seigneur, les deux saints burent en appliquant leur bouche à la fontaine, car ils n’avaient point de vase pour puiser de l’eau ; puis ils s’agenouillèrent ensemble et passèrent la nuit à prier.

Au point du jour, Paul dit à Antoine.

– Mon frère, je savais depuis longtemps que vous habitiez ce désert, et Dieu m’avait promis que je vous verrais. Maintenant, parce que l’heure de mon repos est