Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/29

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et le ramena à l’observance de l’antique règle de Cîteaux dont cependant il adoucit un peu la rigueur. Depuis lors cette règle fut toujours exactement suivie, sauf quelques modifications de peu d’importance ; et les monastères de la Trappe devinrent l’asile et le foyer des plus pures, des plus admirables vertus.

C’est au monastère de la Trappe de Mortagne que mourut l’abbé de Rancé, à l’âge de soixante-quinze ans, après trente-sept ans de la plus rigoureuse pénitence, sans que sa foi et sa charité se soient démenties un seul jour depuis sa conversion. Non seulement réformateur de la Trappe, mais restaurateur de toute la vie monastique en France, aimé d’un amour sans bornes par ses religieux, malgré son austérité et son zèle infatigable à faire observer la règle, il expira au milieu de leurs sanglots et de leurs prières, sous la bénédiction de l’évêque de Séez, son ami, étendu sur la paille et la cendre, en prononçant ces paroles des livres sacrés : « Seigneur, ne tardez pas davantage ; mon Dieu ! hâtez-vous de venir ! »

En recouvrant de terre le cercueil qui renfermait les restes mortels de ce héros de la pénitence chrétienne, les trappistes, sachant que son œuvre ne périrait point avec lui, et que la semence bénie qu’il avait jetée ne ferait que fructifier et grandir sous la garde du travail et de la prière, chantaient ces grandes paroles de l’Écriture sainte, qui renferment l’histoire de l’Église et de toutes les œuvres enfantées par l’Église :

« Si tes fils gardent mon testament et les enseignements que je leur donnerai, si les fils de tes fils persévèrent, ils siégeront éternellement sur ton siège. Car le Seigneur a choisi Sion, il l’a choisi pour sa demeure. Voilà le lieu de mon repos dans les siècles des siècles ; j’y habiterai parce que je l’ai choisi. »

Cette parole prophétique, redite sur la tombe de l’abbé