Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/50

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C’était un tout jeune homme, d’une physionomie douce et triste ; il avait des cheveux très blonds, un front élevé, plein d’intelligence, des yeux bleus, de petites moustaches à peine dessinées au-dessus de ses lèvres. Son air de distinction et de mélancolie me frappa dès le premier jour que je le vis. Je m’approchai affectueusement de lui et lui adressai quelques mots auxquels il répondit avec politesse, mais avec réserve. D’abord il fut silencieux, taciturne, comme en défiance puis il se détendit peu à peu ; son front devint moins sombre, sa physionomie plus confiante. Enfin son cœur s’ouvrit et s’épancha dans le mien. De ce moment, il devint plus aimant et plus affectueux chaque jour ; il se livra sans réserve à l’amitié que je lui offrais. Hélas ! cette amitié devait être courte, et, commencée dans une église, allait finir à l’hôpital.

De causeries en causeries, de confidences en confidences, je sus bientôt toute l’histoire du pauvre enfant. Elle était simple et ressemblait à celle de bien des soldats. Il était de Strasbourg, d’une famille honorable ; il avait un frère un peu plus âgé que lui, officier dans le même régiment. Après des études à peu près complètes, l’ennui, l’inquiétude d’esprit, je ne sais quelle funeste inspiration, le poussèrent à quitter la vie tranquille qui s’ouvrait devant lui pour la profession militaire. Il n’avait rien à craindre du recrutement, puisqu’il avait un frère sous les drapeaux. Il s’engagea cependant, et, quand je le connus, il était soldat depuis quelques mois. Déjà ses yeux étaient ouverts et son désillusionnement était complet il se voyait avec terreur, ou du moins avec chagrin, engagé pour sept ans dans une carrière qu’il n’aimait pas, pour laquelle il n’était pas fait, dans laquelle il s’était jeté par un coup de tête, malgré les larmes de sa mère, sans nécessité et sans goût. Quand