Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/69

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Enfin, je leur ai donné l’adresse de M. l’abbé*** ; ils ne l’ont pas trouvé, mais un autre l’a remplacé pour l’office ; ils sont revenus gais et joyeux comme des pinsons. La première chose qu’ils m’ont dite en arrivant, la voilà – Tu nous a sauvés ! – Non, leur dis-je, ce n’est pas moi, mais celui qui a fait le livre où se trouve la belle histoire de Notre-Dame des Victoires… Je leur ai dit votre nom. L*** n’a cessé de le répéter ; je lui ai prêté votre livre, il l’a tout lu, et votre nom, il l’a écrit partout, sur les murs et même sur la couverture de son livret. Le fourrier est venu précisément le lui demander comme il finissait de l’écrire. – Qu’est-ce que c’est que ça, M. de Ségur sur votre livret ? Qui a mis ce nom ? — C’est moi, fourrier. — Eh bien, vous serez consigné deux jours pour vous apprendre à mettre d’autres noms que le vôtre. — Dame, mon fourrier, dit-il, je ferai deux jours de consigne de grand cœur pour avoir connu ce nom-là ! — Comment donc ? lui demanda le fourrier. Et alors L*** lui raconta tout et finit en disant : – Je me suis confessé ce matin, demain j’y retournerai, et dimanche je communierai. — Vous êtes un brave garçon, lui dit le fourrier ; vous n’avez pas de respect humain, et voilà comme j’aime les chrétiens ! »

Non ! je dois l’avouer, jamais lettre ne m’entra plus avant dans le cœur ! Après l’avoir lue, je me mis à genoux, je remerciai Dieu et je pleurai. Je remerciai Dieu d’avoir fait des âmes si grandes et si simples, si promptes au repentir, à la reconnaissance et à l’amour ; et je pleurai d’avoir été jugé digne de servir d’instrument pour agir sur ces âmes. Certes, c’est pour un auteur une douce et pénétrante émotion que les suffrages et les éloges des juges et des maîtres de l’art. Eh bien, je ne crains pas de l’affirmer, jamais auteur ne ressentit plus de joie en recevant les félicitations empressées des académiciens et des écrivains illustres, que je n’en éprouvai