Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/68

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homme heureux, ils ont bien ri ; mais Notre-Dame des Victoires, le Pont d’Angers, c’était différent : il y en a qui ont pleuré, et un principalement dont je vais vous dire deux mots tout à l’heure. Enfin, je leur ai lu jusqu’au septième dimanche, la Mort du sergent Herbuel. Il était dix heures, ils sont allés se coucher tout tristes. Un seul est resté debout, pensif ; la tête dans ses deux mains, il est resté au moins une demi-heure dans cette posture. Je le voyais bien, mais je voulais le laisser réfléchir ; j’avais plaisir à le considérer ainsi. Enfin je l’ai appelé ; il a relevé la tête et regardé autour de lui comme s’il sortait d’un rêve. Je l’ai appelé une seconde fois, il m’a regardé et j’ai vu de grosses larmes qui coulaient le long de ses joues ; il était beau ainsi ! Et puis il est venu à moi ; il m’embrassait comme pour du pain, et me disait en pleurant : – Je ferai comme le camarade de Jacques, je veux aller à la messe et me confesser ; je n’irai pas à Notre-Dame des Victoires, mais à Lille, où je trouverai un bon prêtre comme celui que le camarade de Jacques a vu prêcher !

« Il s’est détourné du côté de ceux qui le regardaient (car ils se sont tous levés pour voir et entendre ce qu’il me disait) : — Eh bien, leur dit-il, lesquels de vous viendront avec moi demain se confesser ? – Moi ! dit un ; et il est venu l’embrasser ; les autres sont restés muets… Nous nous sommes mis à prier, eux pour demander pardon à Dieu de leurs péchés, moi, pour prier Dieu et la sainte Vierge de les maintenir dans les mêmes idées jusqu’au lendemain. Mes prières ont été exaucées, j’en suis heureux. Le lendemain, ils étaient levés avant que la diane fût battue : ils m’ont embrassé en me disant — Viens nous conduire chez un prêtre pour nous confesser. – Hélas ! leur dis-je, je ne le peux pas, car je suis obligé d’aller à l’exercice des sous-officiers, caporaux et élèves.