Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/75

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bonne et plus coûteuse, et que les pauvres malades en souffrent. Qu’on alloue aux sœurs une somme fixe, inférieure, si l’on veut, à celle qui se dépense actuellement pour cet objet, et l’on verra si la nourriture des soldats ne deviendra pas à la fois plus abondante et meilleure.

Enfin, chose incroyable et qui prouve jusqu’à quel point d’extravagance peut aller cette manie de tout réglementer qu’on appelle la gloire de notre époque, et qui n’est à mon sens qu’une forme de barbarie plus raffinée, un règlement en vigueur, un règlement exécuté depuis de longues années, malgré les réclamations des médecins et les exclamations du sens commun outragé, fixe les heures de repas dans les hôpitaux militaires, à dix heures du matin et à quatre heures du soir, et, en dehors de ces deux repas, défend de donner aucun aliment aux malades sous aucun prétexte, de sorte que, quels que soient la nature du mal et le degré de la convalescence, l’état de l’estomac, la faiblesse ou les besoins du malade, il faut que tout plie sous l’unité absurde et brutale de cette loi, qui prétend réglementer jusqu’à la nature humaine, et qui décide sans appel que tout soldat convalescent, quel que soit son état, devra rester sans nourriture depuis quatre heures du soir jusqu’à dix heures du matin, c’est-à-dire pendant dix-huit heures. Les bonnes sœurs gémissent de cette déplorable exigence et s’efforcent d’en atténuer, autant que possible, les effets désastreux en distribuant chaque jour à leurs frais, et malgré le règlement, un peu de lait ou de bouillon aux soldats qui en ont le plus besoin. Mais ce n’est là qu’un remède insuffisant, et il arrive, en dépit de tous leurs efforts, que beaucoup des soldats qui meurent à l’hôpital succombent à l’épreuve de la convalescence, après avoir heureusement traversé celle de la maladie.

J’aurais cru manquer à un devoir de conscience en ne