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Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/186

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un monde inconnu

Marcel riait franchement.

« Vous avez eu, conclut Jacques, la be de tomber sur un de ces faiseurs qui, sous le nom de médecins, exploitent la crédulité publique. Mais de tout cela résulte un enseignement utile. Si votre estomac vous tourmentait, c’est qu’il avait pour cela d’excellentes raisons. On sait que les dîners délicats à la fois et plantureux sont de mise dans le monde diplomatique, et, soit dit sans vous offenser, vous en aviez quelque peu abusé.

« Depuis que vous êtes réduit à un régime qui a le précieux avantage de rendre tout excès impossible, votre estomac vous laisse parfaitement tranquille.

— C’est possible, répliqua lord Rodilan ; mais au risque de quelques crampes, je ne serais pas fâché de me retrouver assis à la table du Yachting-Club. »

En étudiant attentivement la structure physiologique des membres de l’humanité lunaire, Jacques était arrivé à constater chez eux une particularité qui lui avait d’abord échappé et qui expliquait, dans une certaine mesure, leur supériorité morale.

Dispensés du soin de se nourrir, ils n’avaient pas besoin du sens du goût, et la nature, qui ne fait rien d’inutile, ne les en avait pas dotés. Chez eux, les papilles de la langue et du palais ne recevaient pas l’impression des saveurs diverses, mais elles remplissaient une autre fonction. Douées d’une sensibilité dont nous pouvons à peine concevoir la délicatesse, elles formaient comme une sorte d’appareil d’émission électrique, et les mouvements que la volonté, élaborée dans le cerveau, imprimait à cet organe produisaient des ondes qui, bien que très faibles, allaient frapper chez les autres individus un organe récepteur d’une égale sensibilité. Cet organe résidait dans l’oreille, où une deuxième membrane, analogue au tympan, mais infiniment plus délicate, vibrait à son tour et transmettait l’impression au cerveau.

Grâce à ce sens, à l’aide duquel se traduisaient ces états insaisissables de l’âme qui échappent chez nous à l’observation, la pensée, en se transmettant de l’un à l’autre, arrivait exprimant en toute sincérité, et sans qu’il fût possible de les dissimuler, l’idée, le sentiment et la volonté. Ce sens fonctionnait en même temps que la parole.