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un monde inconnu

Goûtez-en seulement, dit Jacques en riant ; vous jugerez après. »

Et il versa dans un verre quelques gouttes du précieux nectar.

Lord Rodilan regarda, flaira le liquide inconnu, puis brusquement fermant les yeux avec une grimace, comme un enfant qui avale une médecine, il absorba le contenu du verre. Et, se recueillant :

« On ne peut pas dire, fit-il, que ce soit excellent ; mais enfin ce n’est pas mauvais. Je doute fort cependant qu’il y ait là de quoi remplacer un beefsteak.

— Attendez donc quelques instants, répondit Jacques, et vous m’en direz des nouvelles. Voyez notre ami Marcel ; il n’y fait pas tant de façons. »

En effet, une demi-heure était à peine écoulée que lord Rodilan et Marcel, complètement réconfortés, se sentaient tout remplis d’une vigueur nouvelle, comme s’ils s’étaient assis à une table abondamment servie.

L’expérience était décisive ; le nouvel aliment fut adopté sans plus de difficulté, et les trois amis se sentirent rassurés contre la crainte de mourir de faim.

Il leur sembla même que ce genre de nourriture presque immatérielle les rapprochait quelque peu, à leurs propres yeux, de la condition supérieure des habitants de la Lune. Plus d’une fois, en effet, ils s’étaient sentis humiliés des tristes nécessités que leur imposait leur nature terrestre, et ils avaient cru surprendre parfois dans les regards de ceux qui avaient été témoins de leurs repas comme une expression de surprise et de pitié. Aussi le plus souvent avaient-ils soin de prendre leur nourriture à l’écart.

Depuis qu’ils habitaient le monde lunaire, Marcel, Jacques et lord Rodilan avaient beaucoup observé, beaucoup appris. Toutefois Marcel n’avait pas oublié les paroles presque mystérieuses que lui avait dites Rugel au sujet des observatoires d’où les savants de la Lune pouvaient suivre le cours des astres. Il se demandait comment, du fond de cette gigantesque caverne où ils vivaient, ils avaient pu sonder les profondeurs de l’espace.