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à la surface de la lune

dans une sorte de chemin grossiérement taillé dans le roc. Jamais, depuis qu’ils étaient arrivés dans ce monde ou tout était étrange, ils n’avaient ressenti d’une manière plus complète les effets singuliers de la loi de la pesanteur. Leur poids spécifique se trouvait diminué dans d’étonnantes proportions ; leurs pieds posaient à peine sur le sol ; le moindre effort leur faisait franchir des distances considérables ; ils avaient descendu avec une merveilleuse facilité la pente âpre et tourmentée du cratère, et lorsqu’ils regardaient derrière eux la route qu’ils avaient suivie, ils se demandaient avec une sorte d’horreur comment ils ne s’y étaient pas brisés mille fois.

Au bout d’une heure environ, ils se trouvèrent au pied du cratère, dans la plaine que bornaient au loin des masses confuses de rochers. À la surface de ce monde éteint, tout était d’une morne tristesse, et l’éclatante lumière du soleil, qui s’écrasait sur le sol, augmentait encore cet aspect de suprême désolation. Tout était mort et immobile, et, dans ce silence universel que ne troublait même pas le bruit de leurs pas, les trois habitants de la Terre étaient comme surpris de se sentir vivants.

Revenus de cette première émotion, ils s’étaient arrêtés pénétrés d’une satisfaction profonde. Fouler le sol de cet astre jusque-là inaccessible ; contempler de leur base ces montagnes, ces cratères immenses dont ils n’avaient eu jamais sous les yeux que des images lointaines et fugitives ; sonder de l’œil ces précipices monstrueux qu’ils n’avaient fait que soupconner ; avoir là sous les pieds ce monde inconnu, quel rêve et quel triomphe !

Ils sentaient frémir en eux l’âme des conquérants. Le grand Colomb avait dû éprouver quelque chose de semblable le jour où, pour la première fois, il avait planté l’étendard de Castille sur la terre nouvelle que son génie avait en quelque sorte fait jaillir de l’Océan. Mais combien plus grande et plus étonnante était la conquête due à leur courage et à leur persévérance !

Pour eux, ce que les imaginations les plus audacieuses avaient à peine osé concevoir était réalisé. Les fictions des poètes et des romanciers se trouvaient distancées ; le rêve était maintenant un fait accompli. Comme s’il eût deviné les pensées qui les agitaient