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un monde inconnu

— Peste ! comme tu y vas, s’écria Jacques, riant malgré lui de l’assurance enthousiaste de son ami, je ne suis pas encore décidé.

— Incrédule ! va, fit Marcel ; viens jusque chez moi et tu vas être convaincu, — Garçon ! cria-t-il, l’addition. »

L’entretien que nous venons de rapporter avait lieu à Paris, dans la grande salle du Café Anglais, par une belle matinée du mois d’août 188.. — Les deux jeunes gens qui causaient ainsi à cœur ouvert étaient à peu près du même âge : ils avaient de vingt-huit à trente ans. Mais ils différaient et par l’aspect et par la stature. Marcel de Rouzé, d’une taille élevée et de large carrure, aux membres à la fois souples et robustes, à la tête couverte d’une épaisse forêt de cheveux d’un blond tirant sur le roux, avait le visage coloré et coupé par une longue moustache. Ses grands yeux bleus, largement ouverts, respiraient la franchise et la gaieté. Ses lèvres rouges, un peu épaisses, exprimaient une bonté un peu dédaigneuse. On eût cru ne voir en lui qu’un bon et joyeux garçon toujours disposé à prendre la vie par ses meilleurs côtés, si la lueur qui parfois animait son regard et le pli qui creusait son front n’eussent dénoté une volonté énergique au service d’une intelligence vive et capable des plus hautes conceplions.

Jacques Deligny offrait avec son compagnon un contraste frappant.

D’une taille moins élevée, mais élégante et bien prise, il semblait réaliser le type dvune rare distinction. Sa tête fine et intelligente, qu’encadraient une barbe et des cheveux d’un noir de jais, offrait la pâleur mate de ceux que de patientes et difficiles études ont tenu longtemps renfermés dans le cabinet de travail ou dans le laboratoire.

Sa bouche, aux lèvres un peu serrées, semblait avoir désappris le sourire. Son front élevé était d’un penseur et ses yeux, assez profondément enfoncés, se voilaient d’ordinaire d’une teinte de mélancolie.

Tous les deux s’étaient connus enfants, alors qu’ils s’asseyaient ensemble sur les bancs du lycée Louis-le-Grand.

Plus tard, lorsque Marcel était entré l’un des premiers à