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un monde inconnu

— Que l’Esprit Souverain vous entende, » murmura Oréalis, devenue pensive.

Dès lors elle fut tout entière à l’œuvre de guérison qu’elle avait entreprise. Et c’était chose charmante et mélancolique à la fois de voir cette grande et belle jeune fille se faire l’éducatrice patiente et dévouée de ces trois hommes bronzés par de si rudes traverses, mais redevenus enfants, qui l’écoutaient avec avidité comme une sœur aînée.

Dans de merveilleux récits qu’avec une ingénieuse habileté elle appropriait à l’état de leur esprit, la jeune fille faisait revivre sous leurs yeux les terribles épreuves par lesquelles ils avaient passé, les travaux qu’ils avaient accomplis, les espérances qu’ils avaient conçues, et réveillait ainsi peu à peu la conscience de leur être. Ils restaient suspendus à ses lèvres ; parfois leurs sourcils se contractaient comme si, dans un travail de réflexion intérieure, se déchirait un coin du voile qui leur cachait encore la réalité, et on pouvait prévoir déjà l’instant où ils auraient repris la pleine possession d’eux-mêmes.

Mais c’était Marcel surtout qui semblait, plus encore que ses deux amis, subir la magnétique influence de la jeune fille. Le son de sa voix le jetait dans une sorte d’extase ; le charme qui se dégageait de toute sa personne agissait irrésistiblement sur lui ; des mouvements confus dont il ne se rendait qu’imparfaitement compte agitaient son cœur. Et lorsque, redevenu lui-méme, il s’interrogea sur ce qu’il éprouvait, il se demanda, non sans quelque effroi, si ce sentiment délicieux n’était que de la reconnaissance ou méritait un nom plus tendre.

Bientôt il ne lui fut plus possible de se faire illusion : il éprouvait des émotions jusqu’alors inconnues. Son esprit actif et chercheur, qui ne s’était jamais passionné que pour la solution de problèmes scientifiques ou la réalisation de quelque entreprise hardie, semblait avoir perdu son initiative et sa vigueur. Une sorte de lassitude langoureuse l’avait envahi : il se plaisait maintenant à se laisser bercer par de molles rêveries. Le chant des oiseaux, l’harmonie du vent dans le feuillage le ravissaient ; son imagination surexcitée lui représentait sans cesse la belle Oréalis :