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un amour sans issue

il n’en pouvait détacher sa pensée, et, loin d’elle, il restait plongé dans une mélancolie dont la tristesse n’était pas sans charme.

Le doute ne lui était plus permis : il aimait la jeune fille.

L’instant où cette vérité lui apparut sans nuages fut cruel pour lui. Il savait qu’Oréalis était fiancée à un homme dont il était lui-même l’obligé, et, dans la droiture de sa conscience, il frémissait à penser qu’il ne pouvait s’abandonner à son amour sans se montrer odieusement ingrat. Et puis, que d’obstacles entre lui et celle vers qui l’entraînait son cœur !

En supposant que leurs âmes eussent pu se comprendre et que le sentiment qu’il éprouyait pût être partagé, comment une union aurait-elle été possible entre deux êtres de nature si différente ?

Marcel avait trop de loyauté dans l’âme pour ne pas juger sainement la situation nouvelle qui lui était faite. Il essaya bravement de combattre la passion qui l’avait peu à peu envahi. Cette lutte fut pour lui la cause de douloureux déchirements.

Il fuyait maintenant la présence de celle qu’il recherchait naguère ; mais il avait perdu, avec l’ignorance de l’état de son cœur, le repos et la tranquillité de l’esprit.

Cet état de trouble et d’incertitude où se débattait Marcel avait pas échappé à l’observation de ses deux amis. Jacques et lord Rodilan, qui avaient été frappés comme le jeune ingénieur, avaient passé par les mêmes phases que lui. Grâce à la sollicitude attentive et dévouée dont ils étaient entourés, ils avaient remonté peu à peu, eux aussi, la pente où leur raison s’était effondrée : ils avaient reconquis toute la liberté de leur intelligence et retrouvé, Jacques ses ardeurs généreuses, lord Rodilan la possession de lui-même et le calme un peu dédaigneux dont il ne s’était que rarement départi depuis qu’il avait quitté la Terre.

Ils s’inquiétaient de la tristesse étrange de Marcel.

La cause ne leur en avait pas longtemps échappé : Jacques se retrouvait tel qu’il avait été lorsque son cœur s’était ouvert à l’amour qui, maintenant encore, le remplissait tout entier. De là pour Marcel une sympathie plus grande et plus affectueuse.