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un monde inconnu

Quant à l’Anglais, ce qui le préoccupait surtout, c’était la question de l’issue finale de leur entreprise.

Qu’adviendrait-il d’eux si le chef naturel de leur expédition perdait, dans un fol et irréalisable amour, la lucidité d’esprit et l’énergie nécessaires pour la conduire jusqu’au bout ? Malgré les singulières aventures où l’avaient jeté son désir d’émotions nouvelles et son dégoût d’un monde qu’il connaissait trop bien, lord Rodilan n’avait pas tout à fait dépouillé le vieil homme. Sans doute les péripélies de cet étrange voyage avaient fait vibrer dans son âme des sensations qu’il se croyait incapable d’éprouver et qui l’avaient ravi. Le spectacle de ce monde si different de celui qu’il avait quitté n’avait pu le laisser insensible, et, plus d’une fois, malgré son flegme britannique et sa volonté de ne s’étonner de rien, il s’était senti surpris ou saisi d’admiration.

C’était là, pour un blasé comme lui, quelque chose de tout nouveau et qui l’avait délicieusement remué.

Il s’était même promis d’étonner à son tour les habitants de la Terre (car il comptait bien y revenir un jour) par la description de cette humanité supérieure ; et c’est pour cela qu’il s’était attaché, avec une ardeur qui l’étonnait lui-même, à l’étude des mœurs, des institutions, de l’histoire du monde lunaire. Et ce n’était pas une mince satisfaction pour son orgueil de penser que, grâce à lui, l’Angleterre aurait sa part de gloire, et non la moindre, dans cette merveilleuse épopée qui révélerait à la Terre un univers inconnu et serait le point de départ d’une ère de progrès que personne jusque-là n’aurait osé rêver.

Mais si tout cela satisfaisait l’esprit de lord Rodilan, il était d’autres exigences contre lesquelles il se débattait, et non parfois sans en souffrir. Bien qu’il affectât jadis d’être devenu indifférent aux plaisirs délicats d’une table bien servie, sous prétexte que pour son palais fatigué rien ne saurait être nouveau, il n’avait pas tardé à regretter ce qu’il dédaignait autrefois.

Il s’accommodait mal de cette composition chimique qui suffisait à ses amis et qu’il appelait dédaigneusement une nourriture scientifique. Les tentatives d’ensemencements faites par Marcel et dont quelques-unes seulement avaient réussi, fournissaient bien