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un monde inconnu

vous m’êtes cher que je m’inquiète du repos indigne de vous où vous vous oubliez. J’aime vos grands desseins, j’aime l’audace de votre entreprise ; mais j’aime aussi la gloire qui vous attend et je ne veux pas y renoncer pour vous.

— Oui, reprit Marcel avec vehémence, vous aimez en moi ce qui maintenant est de peu de prix à mes yeux. Ce que je voudrais vous voir aimer, c’est moi-même, c’est mon cœur tout plein de vous, car je ne puis pas retenir plus longtemps l’aveu qui brûle mes lèvres. Oréalis, je…

— Arrêtez-vous, ami, interrompit vivement la jeune fille, en appuyant sur ce mot « ami » qui semblait sonner faux à l’oreille de Marcel ; je sais ce que vous allez dire. Depuis longtemps votre secret m’est connu et j’ai fait tous mes efforts pour que le sentiment qui vous possède restât renfermé dans les limites d’une sincère et loyale amitié. Rien d’autre en effet ne saurait exister entre nous. Alors même que d’insurmontables obstacles ne nous sépareraient pas, vous savez bien que je ne saurais répondre à votre amour.

« Je ne m’appartiens plus : ma foi est unie à un homme que vous devez aimer et respecter. Mon cœur a confirmé le choix de ma raison, et c’est de celui-là seul qui m’a jugée digne de lui que je dois attendre la part de bonheur à laquelle tout être humain a le droit d’aspirer. Je ne sais comment les choses se passent dans le monde d’où vous venez ; mais ici nos âmes ne sauraient passer d’un amour à l’autre, et lorsqu’une fois notre cœur a parlé, c’est pour toujours.

— Ah ! vous me torturez, murmura Marcel ; ce que vous me dites là, je me le suis répété cent fois, et ce n’est que vaincu par l’excès de mon amour pour vous que j’ai laissé échapper le secret que j’aurais voulu garder au plus profond de mon âme. Ce qui me déchire le cœur, c’est cette vertu souveraine, cette sérénité d’âme qui vous met si au-dessus de nos passions terrestres, et peut-être est-ce parce que je vous sais inaccessible à mes vœux que je me sens plus violemment attiré vers vous.

— Enfant, fit en souriant Oréalis, c’est toujours l’impossible qui vous tente ; c’est ce désir d’atteindre l’irréalisable qui vous a poussé