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un amour sans issue

jusqu’ici, et c’est encore le même espoir qui vous égare aujourd’hui. Autant la première ambition était noble et généreuse, autant la passion dont vous souffrez maintenant est regrettable et funeste. Elle deviendrait misérable si elle devait vous détourner plus longtemps de votre grande tâche.

— Eh ! que voulez-vous que je devienne maintenant que vous brisez en moi la seule espérance qui me rattachait à la vie, et pouvait me donner la force d’aller jusqu’au bout ?

— Ce que je veux, c’est que vous soyez un homme ; c’est que vous chassiez les vaines chimères qui obscurcissent votre esprit et troublent votre volonté ; c’est que, esclave du devoir que vous vous êtes imposé, marchant d’un pas ferme et sans regarder en arrière dans la voie que vous vous êtes tracée, vous poursuiviez sans faiblesse la réalisation de votre œuvre féconde. Ah ! poursuivit-elle en s’animant, je rêve pour vous de grandes et nobles destinées. Je veux qu’après avoir exploré notre monde, vous retourniez vers ceux de la Terre, que vous leur appreniez qu’il existe ici toute une humanité prête à entrer avec eux en relation, que vous soyez le premier pionnier de cette route dans laquelle va entrer le génie humain. Et mon cœur vous suivra ; je serai fière en pensant à vous, et il me sera doux de croire que le désir de mériter mon estime et mon admiration n’a pas été étranger aux efforts que vous aurez faits pour mener à bien ce glorieux dessein. »

Pendant qu’elle parlait, son visage s’était transfiguré et rayonnait d’enthousiasme ; ses yeux semblaient lancer des éclairs, sa poitrine était gonflée d’émotion ; elle semblait grandie. On eût dit qu’elle voyait déjà en esprit cet avenir brillant où les deux mondes, réunis dans une pensée fraternelle, iraient côte à côte et d’un pas égal vers la lumière et le progrès.

Marcel la regardait avec surprise. Jamais elle ne lui avait paru si radieuse et si belle ; il ne soupçonnait pas une telle hauteur dans les sentiments, une telle élévation dans l’âme. Mais aussi il comprenait combien cet être d’une nature si parfaite était éloigné de lui. Il sentait se creuser, plus profond et plus infranchissable, l’abîme qui le séparait d’elle.

Et des sentiments confus agitaient son cœur.