Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
276
un monde inconnu

neuses a été communiquée au monde savant par l’honorable Burnett, elle n’a dû rencontrer que la plus stupide incrédulité. Tant de gens seraient dérangés dans leurs habitudes et leur routine, et il est si simple de nier ce que l’on ne comprend pas !

— Certes, fit Jacques ; rappelez-vous donc ce qui s’est passé déjà. Est-ce que le monde savant s’est ému lors du voyage, déjà si merveilleux, de Barbicane, Michel Ardan et Nicholl ? Sans doute cela a fait quelque bruit en Amérique et surtout en Floride, où l’expérience avait été tentée. On y a promené en triomphe les audacieux explorateurs, et ç’a été prétexte à de plantureux banquets et à de longs discours. Mais cet enthousiasme n’a pas eu de lendemain, et il a fallu, pour qu’on en gardât le souvenir, qu’un illustre écrivain français[1] se fît l’historien de cette incroyable épopée et en décrivît, avec son talent habituel, les émouvantes péripéties. Sans lui, toute cette fantastique histoire serait promptement retombée dans l’oubli et aujourd’hui elle serait complètement ignorée.

— Jacques a raison, reprit lord Rodilan ; mais vous oubliez que dans ce premier voyage ne figurait aucun Anglais. Sans cela, l’Angleterre n’aurait pas permis qu’un tel exploit demeurât inconnu.

— Eh bien ! fit Marcel en souriant, nous avons cette fois avec nous un citoyen de la libre Angleterre, et nos noms sont assurés désormais de rester immortels. »

Il y avait bien un peu d’ironie dans cette réponse ; mais, comme elle renfermait en somme un éloge assez direct, le noble lord ne jugea pas à propos de la relever.

« Du reste, ajouta-t-il, nous ne tarderons plus maintenant à savoir à quoi nous en tenir sur ce point, car vous vous êtes, je le suppose, préoccupé du retour ? »

Le front de Marcel s’assombrit.

« J’y ai songé, en effet, dit-il. À vrai dire, si je ne suivais que mes propres inspirations, il me plairait d’achever mes jours au milieu de cette humanité qui tient un rang si élevé dans l’échelle des êtres vivants. Quitter ce monde si voisin de la perfection, où tout est noble et grand, pour retomber sur la Terre, où tout est

  1. M. J. Verne. De la Terre à la Lune. — Autour de la Lune.