Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/31

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Marcel désigna de la main un siège à l’Anglais, qui continua ainsi :

« J’ai tout d’abord à me faire pardonner une indiscrétion involontaire. Quelques mots de votre conversation sont arrivés jusqu’à moi ; ma curiosité a été éveillée par la hardiesse de vos conjectures, l’audace de l’entreprise que vous projetez, et j’ai pris, sans plus délibérer, la résolution de vous mettre en mesure de la réaliser sans attendre la constitution d’une Société lente peut-être à se former, et dont les membres intéressés pourraient vous créer dans l’avenir maintes difficultés.

— Quoi ! s’écria Marcel, vous voudriez…

— Mettre tout simplement à votre disposition les fonds qui vous seraient nécessaires pour acheter le fameux canon du Gun-Club et subvenir à tous les frais de l’expédition.

— Mais, milord…

— Je ne mets à cette offre qu’une seule condition : vous m’accepterez comme compagnon de voyage et je partirai avec vous. »

Les deux jeunes gens fixaient sur leur interlocuteur un regard ahuri. Il s’en aperçut et continua en souriant :

« Je vois bien qu’il faut que je vous explique les raisons de cette proposition, qui peut paraître au moins singulière. Mon père, lord Glennemare, est mort lorsque j’atteignais à peine ma seizième année. Resté très jeune maître d’une immense fortune, j’ai parcouru le monde sans autre souci que de satisfaire toutes mes fantaisies, demandant aux contrées les plus diverses, aux civilisations les plus raffinées des jouissances nouvelles, bientôt épuisées. Tout ce que peut fournir le luxe savant et délicat des grandes capitales de l’Europe, Paris et Londres, Vienne et Pétersbourg, je m’en suis abreuvé jusqu’à satiété ; j’ai goûté à tous les plaisirs inventés par l’imagination surexcitée de l’Extrême-Orient ; l’Inde, la Chine, le Japon n’ont plus rien qui puisse me tenter. J’ai parcouru les contrées sauvages de l’Afrique, où j’ai chassé l’autruche et dormi sous la tente. J’ai mené dans les pampas et les savanes du Nouveau Monde la rude existence des gauchos et des trappeurs. Les fonctions diplomatiques dont j’ai