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Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/353

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une ville morte

« C’est que, lui dit Rugel, les hommes qui habitaient à la surface de la Lune étaient d’une taille plus élevée que la nôtre. Depuis tant de siècles déjà que l’humanité lunaire vit enfermée dans un milieu plus restreint, sa stature s’est peu à peu abaissée. »

« Ainsi, se disait Jacques, les générations se sont succédé ici comme sur la Terre, laissant à celles qui devaient venir après elles de mystérieux souvenirs, et ceux qui vécurent en ces lieux auraient pu, s’ils avaient soupconné notre venue, dire avec le poète :

Scilicet et tempus veniet cum finibus illis

Agricola inveniet…

Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris.

Il fallut repartir, et ce ne fut pas sans regrets que les voyageurs s’arrachèrent à ce spectacle désolé dont la vue réveillait dans leurs cœurs tant d’émotions diverses.

Ils reprirent leur route, en suivant la pente insensible du sol.

Rugel avait depuis longtemps l’intention de leur faire visiter le lit d’une des anciennes mers lunaires. L’occasion se présentait favorable ; les voyageurs avaient encore devant eux une dizaine de jours de lumière qui ne pouvaient être plus utilement employés.

À mesure qu’augmentait la distance qui les séparait du rivage, le sol s’abaissait de plus en plus. Le continent s’élevait, l’horizon se retrécissait. Ce sol lui-même sur lequel ils s’avançaient offrait un aspect singulier : à la blancheur éclatante que présentait, sous les rayons du soleil, la contrée rocheuse qu’ils venaient de quitter, avait succédé une teinte plus sombre. Au lieu de la surface rude et âpre, inégale et difficile sur laquelle ils avaient marché jusqu’alors, leurs pieds foulaient maintenant une sorte de matière feutrée, souple et résistante à la fois, qui semblait fléchir sous leurs pas. Étrangement surpris, Marcel s’était courbé pour l’examiner de plus près. Il en avait même, non sans efforts, arraché quelques parcelles et les considérait attentivement, lorsque Rugel intervint :

« Vous avez vu tout à l’heure, lui dit-il, ce qui reste de la vie de l’humanité ; vous avez maintenant sous les yeux un des derniers