Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/15

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manque souvent de valet, d’habit, de toit, de pain-même ; après avoir dit que le sage ne perd jamais la raison, vous confessez qu’il tombera comme d’autres dans la folie, tiendra des discours peu sensés et osera tout ce que la force du mal contraint de faire ; après avoir dit que le sage ne saurait être esclave, vous ne disconvenez pas qu’il ne puisse être vendu, exécuter les ordres d’un maître et lui rendre les services les plus vils. Ainsi, des hauteurs orgueilleuses où vous étiez montés, vous redescendez aussi bas que les autres : vous n’avez changé que les termes. C’est pourquoi je soupçonne quelque chose de pareil dans votre maxime au premier abord belle et magnifique : Le sage ne recevra ni injure ni humiliation. Or il importe beaucoup de savoir si c’est au dessus de l’indignation que vous le placez, ou au dessus de l’injure. Prétendez-vous qu’il se résignera à la souffrir ? il n’a là aucun privilège. Il n’obtient qu’un avantage vulgaire, et qui s’acquiert par la continuité même des outrages, la patience. Mais si vous dites qu’il ne recevra aucune injure, en ce sens que nul ne tentera de lui être hostile, toute affaire cessante, je me fais stoïcien. —Je réponds que je n’ai pas voulu décorer le sage d’attributs pompeux et imaginaires, mais le mettre en un lieu inaccessible à toute injure.—Eh quoi ! personne qui le harcèle, qui le provoque ? — Sans doute rien de si sacré dans la nature qui ne rencontre un profanateur ; mais ce qui porte un caractère céleste n’en habite pas moins une sphère sublime, encore que des impies dirigent contre une grandeur fort au dessus d’eux des coups qui ne l’atteindront pas. Nous appelons invulnérable , non ce qui n’est point frappé, mais ce que rien ne blesse : à ce signe-là reconnaissez le sage. N’est-il pas vrai que la force