Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/19

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ces projectiles, qui chassés dans les airs par nos balistes et par nos machines, s’élancent à perte de vue pour retomber bien en deçà de la voûte des cieux. Croyez-vous, alors qu’un stupide monarque11 obscurcissait le jour par ses nuées de flèches, qu’une seule ait touché le soleil, ou que les chaînes qu’il fit jeter dans la mer aient pu atteindre Neptune ? Les êtres célestes échappent aux mains des hommes ; ceux qui rasent les temples, qui livrent à la fonte les statues des dieux ne nuisent en rien aux immortels : de même la provocation, l’arrogance, l’insulte sont vaines contre le sage. Il vaudrait mieux, dites-vous, que personne ne voulût l’insulter. Vous souhaitez à la race humaine une vertu difficile, des mœurs inoffensives ! Que l’injure n’ait pas lieu, c’est l’intérêt de celui qui l’aurait faite, et non de l’homme qui, en fût-il l’objet, ne peut en souffrir. Je ne sais même si le sage ne montre pas plus clairement sa force par son calme au sein de l’orage, comme un général ne prouve jamais mieux la supériorité de ses armes et de ses troupes, que lorsqu’il est et se juge en sûreté même sur le sol ennemi.

Trouvez bon, Serenus, que je distingue l’injure de la simple offense. La première, de sa nature, est plus grave ; l’autre, plus légère, ne pèse qu’aux âmes amollies : ce n’est pas une plaie, c’est une piqûre. Telle est pourtant la faiblesse dépravée des amours-propres, que pour quelques-uns rien n’est plus cruel. Vous verrez maint esclave aimer mieux recevoir des coups de fouets que des soufflets, et juger la mort et les verges plus tolérables que d’offensantes paroles. On en est venu à ce point de déraison que non pas seulement la douleur, mais l’idée de la douleur est un supplice ; on est comme l’enfant qui a peur d’une ombre, d’un masque difforme,