Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/25

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du fracas des temples croulans sur leurs dieux, un seul homme jouissait de la paix.

VI. Ne jugez donc pas téméraire l’annonce que je vous ai faite : si dans ma bouche elle obtient peu de créance, je vous offre un garant. Vous avez peine à supposer dans un mortel tant de fermeté, tant de grandeur d’âme ; mais si lui-même s’avancait et vous tenait ce langage : « N’en doutez pas, chacun de nous, bien qu’il soit né homme, peut s’élever au dessus des choses humaines, envisager sans pâlir les douleurs, les pertes, les tribulations, les blessures, les affreuses tempêtes qui grondent autour de lui ; supporter les disgrâces paisiblement, et le bonheur avec modération, sans ployer sous les unes, ni trop se fier à l’autre ; se montrer égal et toujours le même dans les conjonctures les plus diverses, persuadé que rien n’est à lui que lui seul, c’est-à-dire encore la plus noble partie de son être. Oui, et me voici pour exemple : que devant ce preneur de villes et sous le choc de ses béliers les remparts s’ébranlent ; que les orgueilleuses tours s’affaissent tout à coup sapées par les mines et les voies souterraines ; que ses constructions montent au niveau des plus hautes citadelles, je le défie de trouver des machines qui puissent ébranler une âme bien affermie. Je me suis naguère arraché des ruines de ma maison, à la lueur d’un embrasement général ; j’ai fui la flamme à travers le sang. Quel est le sort de mes filles ? Est-il plus affreux que le sort de tous ? je l’ignore. Seul, chargé d’années, ne voyant rien que d’hostile autour de moi, j’affirme néanmoins que mes biens sont saufs et intacts ; j’ai, je conserve encore tout ce que je possédais. Ne va pas, ô Demetrius, me piger vaincu, ni te croire mon vainqueur : c’est ta for-