Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Or, tous les coups fortuits ne tombent et ne nuisent que hors de nous. Songez encore à une autre source d’injures inépuisable, aux périls que nous suscitent un accusateur suborné, des griefs calomnieux, les grands prévenus et armés contre nous ; enfin tous ces brigandages qui s’exercent en pleine paix et sous la toge.

Autre espèce d’injure bien fréquente. On vous dérobe un gain ou une récompense long-temps poursuivie ; un héritage brigué péniblement s’éloigne de vous ; la faveur d’une lucrative maison vous est ravie. Le sage échappe à tout cela, lui qui ne sait vivre ni dans l’espoir ni dans la crainte. Ajoutez aussi que, loin de recevoir de sang-froid une injure, il n’est personne qui n’en éprouve un trouble violent, et qu’un tel sentiment n’entre point dans une âme élevée, modératrice d’elle-même, qui jouit d’un calme et d’une paix profonde ; car. si l’injure la touche, elle perd sa paix et sa liberté. Or le sage ignore la colère, qu’allume l’apparence de l’injure. Et comment serait-il étranger à la colère, s’il ne l’était à l’injure, qu’il sait ne pouvoir monter jusqu’à lui ? De là cette assurance, cette vive satisfaction, cette éternelle joie qui exalte son cœur ; de là ce cœur assez peu froissé par les contre-temps qui viennent des choses ou des hommes, pour que l’injure même tourne à son avantage, en lui servant à éprouver sa force, à essayer sa vertu. Prêtez silence, je vous en conjure ; ouvrez une oreille et une âme recueillies à cette grande vérité : le sage est affranchi de l’injure. Et nous ne retranchons rien pour cela à vos emportemens, à vos cupidités si rapaces, à votre aveugle témérité, à votre arrogance. Sans toucher à vos vices, nous cherchons l’indépendance du sage. Nous ne travaillons pas à vous empêcher de faire l’injure, mais