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CONSOLATION A HELVIA.

courage qu’elle avait mis à le suivre : les obsèques de son fils terminées, nul ne la vit plus dans les larmes. Héroïque dans l’exil de ce fils, elle se montra sage à sa mort : rien n’avait rebuté sa tendresse, rien ne put l’enchaîner à une affliction stérile et déraisonnable. C’est parmi ces femmes que je veux vous compter : constante imitatrice de leur vie, il sera beau de vous voir comme elles modérer, comprimer vos chagrins. Je sais que la chose n’est guère en notre pouvoir, qu’aucune affection n’obéit, et la douleur moins que tout le reste : farouche de sa nature, tous les remèdes la trouvent rebelle. Parfois on voudrait l’étouffer et dévorer ses gémissements ; mais le visage a beau feindre, a beau se composer, les pleurs se font jour et débordent ; on court occuper son esprit de spectacles et de gladiateurs ; mais, au fort de ses distractions les plus vives, le moindre ressouvenir de ce qu’il a perdu le bouleverse. Mieux vaut donc vaincre la douleur que la tromper ; car, en dépit des plaisirs qui lui donnent le change ou des affaires qui l’entraînent ailleurs, elle se réveille ; dans son repos même elle prépare son élan pour de nouvelles morsures ; mais terrassée par la raison, elle ne se relèvera plus. Je ne vous conseillerai pas de faire comme je sais qu’ont fait tant d’autres, de vous jeter dans des voyages prolongés ou de pur agrément, de consacrer beaucoup de temps et de soins à recevoir vos comptes, à administrer vos biens, de toujours vous embarrasser en quelque nouvelle affaire : tous palliatifs d’un moment qui, sans la guérir, contrarient la douleur ; j’aime mieux la faire cesser que l’étourdir. Je préfère vous conduire au port où doit tendre quiconque fuit les coups de la Fortune, c’est-à-dire aux études libérales. Ce sont elles qui fermeront votre blessure, qui vous affranchiront de toutes vos tristesses. Ces habitudes studieuses n’eussent-elles jamais été les vôtres, il faudrait aujourd’hui les prendre : or autant que mon père et la rigueur de ses vieilles maximes l’ont permis, toutes les belles connaissances ont été sinon possédées, du moins abordées par vous. Plût au ciel que cet excellent homme, trop attaché aux usages de ses ancêtres, vous eût laissée approfondir plutôt qu’effleurer les doctrines des sages ! Vous n’auriez pas maintenant à chercher des armes contre la Fortune, vous les trouveriez en vous. Parce que certaines femmes puisent dans les lettres, non point des principes de sagesse, mais une séduction de plus à étaler, il ne souffrit pas que vous en fissiez une plus longue étude ; mais votre heureux génie, prompt à tout saisir, a suppléé au temps, vous possédez les