Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/248

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mobiles sont si différents ? Jamais le médecin se met-il en colère contre un frénétique ? Les imprécations du fiévreux auquel il défend l’eau froide, les prend-il en mauvaise part ? Le sage est pour tous les hommes dans la même disposition que le médecin pour les malades ; celui-ci ne dédaigne pas de toucher, si elles ont besoin de remède, les parties les plus déshonnêtes de leur corps, ni d’examiner les derniers produits de leurs aliments et de leurs boissons, ni d’essuyer leur fureur qui s’exhale en invectives. Le sage sait trop que tous ces gens qui s’avancent parés de toges à bandes de pourpre, avec le coloris de la santé, sont loin d’être sains : il voit en eux des malades hors d’état de se maîtriser : aussi ne se fâche-t-il même pas si, dans leurs accès, ils se permettent quelque violence contre qui les veut guérir ; et comme il ne fait nul cas de leurs hommages, il met sur la même ligne leurs irrévérences. Comme il ne se prévaudra pas des respects d’un mendiant, il ne se croira pas offensé si quelque homme de la lie du peuple ne lui rend point son salut ; ainsi encore, qu’une foule de riches aient de lui une haute idée, il ne l’aura pas de lui-même, certain qu’ils ne diffèrent en rien des mendiants, qu’ils sont même plus misérables, car les mendiants ont besoin de bien peu, les riches de beaucoup. D’autre part que lui importe qu’un roi des Mèdes, qu’un Attale asiatique, qu’il aura salué, passe sans lui rien dire, le visage arrogant ? Il sait que leur condition n’est pas plus désirable que celle de l’esclave auquel échoit, dans un nombreux domestique, le gouvernement des malades et des fous. Irai-je m’indigner si quelque brocanteur du temple de Castor ne me salue pas par mon nom, lui, l’un de ces hommes qui vendent et achètent de méchants esclaves, et dont les boutiques sont pleines de valets de la pire espèce ? Non, ce me semble ; car qu’y a-t-il de bon dans celui qui n’a que du mauvais sous la main ? Le sage fait aussi peu attention aux civilités ou aux impolitesses d’un tel homme qu’à celles d’un roi. Tu vois à tes pieds des Parthes, des Mèdes, des Bactriens : mais c’est la crainte qui les contient ; mais ils t’obligent à toujours avoir l’arc tendu ; mais c’est une race dégradée, vénale, qui ne soupire qu’après un nouveau maître.

Le sage ne sera touché des insultes de qui que ce soit ; car en vain les hommes diffèrent tous entre eux, il les estime tous pareils en ce que leur folie est égale. S’il s’abaissait jusqu’à prendre à cœur une injure, ou grave ou légère, jouirait-il jamais de la sécurité qui est le propre, le trésor du sage ? Il se