La compassion est une impression maladive à l’aspect des misères d’autrui, ou un chagrin qu’on éprouve à l’idée qu’elles ne sont pas méritées. Or la maladie morale n’atteint point le sage : son âme est toute sereine, et aucun nuage ne peut l’obscurcir. Rien ne sied mieux[1] à l’homme que les sentiments élevés : or il ne peut les avoir tels, celui que la crainte abat, dont le cœur est en deuil et se serre de tristesse. C’est ce qui n’arrivera pas au sage, même dans ses propres infortunes : il repousse tous les traits du sort dont le courroux se brise à ses pieds ; son visage est toujours le même, calme, impassible, ce qui ne pourrait être si le chagrin avait accès en lui. Ajoutez qu’au sage appartiennent la prévoyance et la promptitude du conseil : or jamais rien de pur et de net ne sort d’une source troublée. Le chagrin ôte à l’homme sa clairvoyance, le génie des expédients, la faculté de fuir le péril, d’apprécier ce qui est juste. Le sage n’a donc point cette compassion, qui n’est qu’une malheureuse passivité de l’âme ; mais tout ce que font d’ordinaire les compatissants49, il le fera de lui-même, et dans un autre esprit.
VI. Il consolera ceux qui pleurent, sans pleurer avec eux ; il tendra la main au naufragé, donnera l’hospitalité au proscrit et l’aumône au nécessiteux, non cette aumône humiliante que la plupart de ceux qui veulent passer pour compatissants jettent avec dédain à ceux qu’ils assistent et qu’ils craindraient même de toucher ; il donnera ce que l’homme doit à l’homme sur le patrimoine commun. Il rendra le fils aux larmes de la mère, il fera détacher ses fers, il le retirera de l’arène, il donnera même la sépulture au criminel ; mais dans tous ses actes il sera calme d’esprit et de visage. Ainsi le sage ne s’apitoiera pas ; il secourra, il obligera, lui né pour aider ses semblables et travailler au bien public dont il offre à chacun sa part. Il y a même certains méchants, en partie condamnables, mais qu’on peut amender, sur lesquels sa bonté s’étendra. C’est surtout aux grandes misères courageusement subies qu’il sera heureux de porter secours. Chaque fois qu’il le pourra, il corrigera les torts de la Fortune : où emploierait-on mieux les richesses, le pouvoir, qu’à relever ce que le sort a jeté par terre ? Son visage ni son âme ne trahiront nulle défaillance en voyant la jambe desséchée d’un mendiant, ses haillons[2], sa maigreur,
- ↑ Nihilque quam magnus, leçon Lemaire. Je préfère le Mss : nihilque æque hominem, quam…
- ↑ Texte corrompu. Un Mss. obcrusati cujus aredum aut panno jam maciem d’où on a fait : ob æruscantis civis aridam ac pannosam maciem… Je propose, en changeant bien moins : ob crus alicujus aridum aut pannosam m…'