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DES BIENFAITS, LIVRE II.

aux frais des jeux publics, refusa de Fabius Persicus une somme considérable, et répondit à ceux qui, s’arrêtant plus à l’offrande qu’au personnage qui offrait, lui reprochaient ce refus : « Moi, recevoir un service d’un homme dont je n’accepterais pas à table une santé ! » Et comme le consulaire Rebilus, non moins décrié que Persicus, lui envoyait une somme encore plus forte et insistait pour qu’il en ordonnât l’acceptation : « De grâce, lui dit-il excusez-moi ; j’ai déjà refusé Persicus. » Est-ce là recevoir de toute main ? N’est-ce pas plutôt choisir, comme on choisit pour faire un sénateur ?

XXII. Quand nous croirons devoir accepter, acceptons avec joie, avec tous les signes du plaisir, si évidents pour celui qui donne qu’il en recueille à l’instant même le fruit de son action. C’est une satisfaction légitime que de voir son ami satisfait, plus légitime encore, s’il l’est par nous. Montrons combien le don nous a touchés, par l’effusion de nos sentiments ; et ce n’est pas devant le bienfaiteur seulement, mais en tout lieu qu’il faut le témoigner. La joie qu’on manifeste en recevant un service est le premier intérêt qu’on en paye.

XXIII. Il y a des hommes qui ne veulent accepter qu’en secret, qui évitent les témoins et les confidents : ils ont à coup sûr une arrière-pensée. Comme le bienfaiteur ne doit donner de publicité à ses présents qu’autant qu’elle peut plaire à l’obligé, qu’à son tour celui-ci les proclame devant tous. Ce que tu rougirais de devoir, ne l’accepte point. Tel vous témoigne sa gratitude à la dérobée, dans un coin, à l’oreille. Ce n’est point là de la réserve, c’est une manière de dénégation. Ingrat est celui qui ne remercie qu’en l'absence de tiers.

Comme certains emprunteurs ne veulent ni billets, ni entremise de courtiers, ni signature de témoins ou d’eux-mêmes; ainsi font ceux qui s’étudient à ce que les services qu’on leur rend soient le plus possible ignorés. Ils craignent de leur donner de l’éclat, afin de paraître les devoir plutôt à leur mérite qu’à l’aide d’autrui. Sobres d’hommages pour ceux auxquels ils doivent la vie ou leur élévation, la peur de passer pour protégés leur vaut l’épithète bien plus fâcheuse d’ingrats.

XXIV. D’autres disent le plus de mal de ceux qui leur ont fait le plus de bien. Il est parfois moins dangereux d’offenser les hommes que de les servir : pour prouver qu’on ne vous doit rien, on prend le parti de vous haïr[1]21. Or il n’est point

  1. Voy. lettres xix et lxxxi ; et Tacite, Ann., IV, xviii.