ceux-ci, pour montrer dans quel esprit s’était faite leur première désertion, passèrent de nouveau des vainqueurs à la captive sous leur masque de parricides. Leur bienfait fut sublime en ceci : pour empêcher le meurtre de leur maîtresse, ils ne crurent pas trop faire en s’avouant ses meurtriers. Non, crois-moi, non, te dis-je, il n’est pas d’une âme servile d’accepter l’infamie d’un crime pour prix d’un acte de vertu.
C. Vettius, préteur des Marses, était mené prisonnier au général romain. Un de ses esclaves arrache l’épée du soldat qui traîne Vettius, tue d’abord ce dernier, puis s’écrie : « Il est temps de songer à moi ; voilà que j’ai affranchi mon maître. » Et d’un seul coup il se perce de part en part. Trouve-moi un plus noble libérateur que cet esclave.
XXIV. César assiégeait Corfinium et y tenait bloqué Domitius. Celui-ci commanda à son médecin, qui était aussi son esclave, de lui donner du poison. Comme il le voyait hésiter : « Que tardes-tu ? lui dit-il ; crois-tu que la chose dépende tout à fait de toi ? Je te demande la mort, et j’ai mes armes. » L’esclave promit d’obéir, et lui fit prendre un breuvage inoffensif qui l’assoupit ; puis il s’en fut trouver le fils de son maître et lui dit : « Ordonnez qu’on s’assure de moi, jusqu’à ce que l’événement prouve si c’est du poison que j’ai donné à votre père. » Domitius vécut et fut sauvé par César ; mais l’esclave l’avait sauvé le premier.
XXV. Dans la guerre civile, un proscrit fut caché par son esclave qui, paré des bagues et couvert des vêtements de son maître, alla au-devant des émissaires, leur dit qu’il ne demandait point grâce, qu’ils pouvaient exécuter leurs ordres, et présenta sa tête.
Quel héroïsme d’avoir voulu mourir pour son maître en un temps où c’était une rare preuve de foi de ne pas vouloir sa mort ! Qu’il est beau de se montrer humain dans la barbarie générale ; fidèle, quand tous sont perfides ; et lorsque de si hauts prix sont offerts à la trahison, de n’ambitionner pour prix de sa foi que le trépas !
XXVI. Notre siècle a ses exemples que. je n’omettrai pas. Sous l’empereur Tibère la fureur des délations s’était propagée comme une épidémie qui, plus terrible que toute guerre civile, dépeuplait Rome en pleine paix. On recueillait les propos de l’ivresse, les innocentes saillies de la gaieté : tout devenait péril, pour sévir tout prétexte était bon. Le sort des accusés ne donnait même plus lieu aux incertitudes ; c’était le même pour