Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/243

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cilius, moquons-nous un peu de ces inepties grecques dont, à ma grande surprise, je ne suis pas encore bien revenu. Notre Zénon pose ce syllogisme : « Aucun mal n’est glorieux ; la mort est glorieuse ; donc la mort n’est point un mal. » Me voilà bien avancé ! Délivré de ma peur, après ce beau mot je n’hésiterai plus à tendre le cou. Ne saurais-tu parler plus sérieusement, ne pas me donner à rire en face du supplice ? Oui certes, il me serait difficile de dire quel est le plus extravagant de se flatter d’étouffer par un tel argument la crainte de la mort, ou de prendre à tâche, comme si c’était la peine, de débrouiller ton sophisme. Car Zénon s’est réfuté lui-même par un syllogisme contraire, tiré de ce que nous plaçons la mort parmi les choses indifférentes, ἀδιάφορα, comme s’expriment les Grecs. « Rien d’indifférent, a-t-il dit, n’est glorieux ; la mort est glorieuse ; donc elle n’est pas indifférente. » Tu vois où va cette surprise de mots. La mort en elle-même n’est pas glorieuse ; c’est mourir courageusement qui est glorieux ; et quand il dit : « Rien d’indifférent n’est glorieux, » je l’accorde, sauf à dire aussi : rien de glorieux qui n’ait pour éléments des choses indifférentes. Je comprends comme telles, c’est-à-dire comme n’étant ni des biens ni des maux, la maladie, la douleur, la pauvreté, l’exil, la mort. Aucune de ces choses n’est essentiellement glorieuse, et rien pourtant ne l’est sans elles ; car on loue, non la pauvreté, mais l’homme qu’elle n’humilie ni ne fait plier ; car on loue, non l’exil, mais l’homme qu’il ne contriste pas ; car on loue, non la douleur, mais l’homme qui ne lui cède rien ; on n’a jamais loué la mort ; on loue celui à qui la mort a plus tôt fait d’enlever l’existence que de troubler le cœur. Toutes ces choses n’ont en elles rien d’honnête ni de glorieux ; mais quelle que soit celle où la vertu intervienne et mette la main, elle la fait honorable et glorieuse. Neutres par leur nature, elles se modifient selon que le vice ou la vertu y appliquent leur empreinte. Cette même mort, si belle chez Caton, est, chez Brutus, ignoble et déshonorante. Je parle de ce Brutus98 qui, condamné à périr et cherchant des délais, se retira à l’écart pour satisfaire un besoin naturel, et comme on l’appelait au supplice, répondit à l’ordre de présenter sa tête : « Je la présenterai ; si à ce prix on me laissait vivre ! » Quelle démence de vouloir fuir, quand reculer est impossible ! « Si à ce prix on me laissait vivre ! » Peu s’en fallut qu’il n’ajoutât : « même sous Antoine ! » Ô homme digne d’être livré à l’existence !

Au reste, comme je viens de le dire, la mort en elle-même,