mes : on n’en voulait qu’aux bêtes féroces. Quand l’épaisseur du bocage voisin pouvait garantir du soleil, et qu’on bravait l’inclémence des hivers ou des pluies sous l’abri naturel d’un toit de feuilles, la vie coulait paisible et les nuits étaient sans cauchemar. Tandis que les soucis nous retournent sur nos lits de pourpre et nous réveillent de leurs poignants aiguillons, quel doux sommeil ces hommes goûtaient sur la dure ! Ils n’avaient point au-dessus d’eux des lambris ciselés, mais sans obstacle ils voyaient de leur couche les astres glisser sur leurs têtes et le sublime spectacle des nuits menant en silence la grande révolution du ciel.
À toute heure du jour et de la nuit s’ouvrait pour eux la perspective de cette merveilleuse demeure : ils se plaisaient à voir une partie des astres décliner du milieu du ciel vers l’horizon, et d’autres à l’opposite se rendre visibles et monter. Avec quel charme ils promenaient leurs yeux dans cette immensité semée de prodiges ! Mais vous, le moindre bruit de vos plafonds vous alarme ; et si entre vos riches peintures quelque craquement se fait entendre, vous fuyez comme si c’était la foudre. Au lieu de palais grands comme des villes, un air pur, circulant librement et à ciel ouvert, l’ombre légère d’un rocher ou d’un arbre, de limpides fontaines, des ruisseaux que ni travail humain, ni tuyaux, ni direction forcée n’avaient profanés, mais qui suivaient leur cours volontaire, et des prairies belles sans art, et au milieu de tout cela un toit agreste élevé par une rustique main, c’était là une demeure selon la nature, où l’on aimait à habiter sans la craindre et sans craindre pour elle. Aujourd’hui un de nos grands sujets de frayeur, ce sont nos maisons.
Mais toute belle et toute pure de fraude qu’ait été leur vie, ces mortels ne furent point des sages, nom qui n’est dû qu’à la perfection même. Je ne nie point toutefois qu’il n’y eût alors des hommes d’une haute inspiration et comme fraîchement sortis de la main des dieux : car il est hors de doute que le monde non encore épuisé enfantait des âmes plus généreuses. Or si elles étaient toutes de trempe plus forte et plus aptes aux travaux, elles n’avaient point toutes atteint le point suprême. La nature en effet ne donne point la vertu ; c’est un art que d’y arriver[1]. On ne cherchait pas l’or, ni l’argent, ni les pierres transparentes dans les abîmes fangeux de la terre ; on épar-
- ↑ Voy. Lettre LXXX.