Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/454

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mitié sitôt refroidie du même Tibère, récitait de sa poésie où il intercalait à tout propos le lever et le coucher du soleil. Quelqu’un s’indignant qu’il eût tenu toute une journée son auditoire, dit que c’était un homme qu’il ne fallait plus aller entendre ; sur quoi Natta Pinarius répliqua : « Puis-je faire plus pour lui ? Je suis prêt à l’entendre d’un lever à un coucher de soleil. » Un jour il déclamait ces vers :

Le ciel se dore au loin d’une clarté nouvelle ;
L’ardent Phébus s’avance, et la noire hirondelle,
Pour son nid babillard pétrissant son butin,
Donnant leur part à tous, commence le festin…


« Et Buta commence à dormir, » s’écria Varus, chevalier romain, de la suite de M. Vinicius24, et amateur des fins soupers où son humeur caustique lui méritait une place. Puis à la tirade qui venait tout après :

Les bergers dans l’étable ont rentré leurs troupeaux ;
Sur la terre assoupie arrêtant les travaux,
La nuit sombre et muette a commencé


Varus interrompit encore : « Que dit-il ? Déjà la nuit ? Allons donner le bonjour à Buta. » Rien n’était plus connu que Buta, que sa vie qui tournait en sens inverse des autres vies, et que suivaient, je l’ai dit, beaucoup de ses contemporains. Si tel est le goût de certaines gens, ce n’est pas que la nuit ait par elle-même plus de charmes pour eux, c’est que rien ne leur plaît de ce qui s’offre à tous, c’est que le grand jour pèse aux mauvaises consciences25, et que ceux qui convoitent ou méprisent les choses selon qu’elles s’achètent plus ou moins cher, dédaignent la lumière qui ne coûte rien. Et puis les gens de plaisir veulent qu’on s’entretienne, tant qu’elle dure, de la vie qu’ils mènent. Si l’on n’en dit rien, ils croient leur peine perdue. Et ils sont mal à l’aise, si quelque fait d’eux échappe à la publicité. Beaucoup mangent comme eux leur bien, beaucoup ont des maîtresses ; pour se faire un nom parmi leurs pareils, il faut non-seulement du luxe, mais un luxe original. Dans une ville aussi affairée, les sottises ordinaires ne font point parler d’elles26.

J’ai ouï rapporter par Pedo Albinovanus, conteur très-agréable, qu’il avait habité, à l’étage supérieur, la maison de Sp. Papinius, l’un de ces hommes qui fuyaient le jour. « Vers la troi-