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LIVRE VII.

Quel est cet être sans lequel rien n’existe5 ? Nous ne pouvons le savoir ; et nous serions surpris de ne connaître qu’imparfaitement quelques points lumineux, quand la plus importante partie de l’univers, quand Dieu nous échappe ! Que d’animaux furent pour la première fois découverts dans ce siècle ! Que d’autres, ignorés de nous, seront connus des âges suivants ! Que de conquêtes pour les temps à venir, quand notre mémoire même ne sera plus ! Que ce monde serait peu, s’il n’enfermait des choses que le monde entier doit chercher ! Il est des mystères religieux qui ne se dévoilent pas en un jour. Éleusis garde des révélations pour ceux qui la viennent revoir. La nature ne livre pas à la fois tous ses secrets. Nous nous croyons initiés, nous, encore arrêtés sur le seuil. De telles merveilles ne se découvrent pas indistinctement et à tout mortel ; elles sont reculées, elles sont closes au plus profond du sanctuaire. Ce siècle en verra quelques-unes ; d’autres attendent ceux qui vont nous remplacer. Quand donc ces connaissances arriveront-elles à l’homme ? Les grandes découvertes sont lentes, surtout quand les efforts languissent. Il n’est qu’une chose où nous tendions de toute notre âme, sans y atteindre encore : la plus grande corruption possible. Nos vices sont encore en progrès. Le luxe trouve à se passionner pour de nouvelles folies ; la débauche invente contre elle-même de nouveaux outrages ; la vie de délices qui dissout et consume trouve à enchérir sur ses raffinements, sur ses énervements homicides. Nous n’avons pas assez fait abdication de force. Ce qui nous reste d’extérieur mâle, nous l’effaçons sous le luisant de nos corps épilés. Nous avons vaincu les femmes en toilette ; les couleurs que portent les courtisanes, que les dames romaines ont dû s’interdire, nous, Romains, nous les avons prises. On va d’une molle et languissante allure, d’un pas indécis : ce n’est plus en homme que l’on marche, c’est en femmelette. Des bagues ornent nos doigts ; chaque phalange a sa pierre précieuse. Tous les jours nous imaginons de nouveaux moyens de dégrader notre sexe ou de le travestir, ne pouvant le dépouiller : l’un livre au fer ce qui le fait homme ; la plus vile bande du cirque devient le refuge de cet autre, loué pour mourir, armé pour l’infamie. Même ruiné, il pourra fournir à sa frénésie : il a bien choisi[1].

XXXII. Tu es surpris que la science n’ait as jusqu’ici

  1. Voir Lettre LXXXVII.