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A LUCILIUS. — XCII.

Les calamités, les pertes, les injustices ne peuvent donc contre la vertu que ce que les nuages peuvent contre le soleil.

J’entends quelqu’un me dire : Le sage, avec un corps débile, n’est ni heureux, ni malheureux. C’est encore uneerreur ; c’est mettre au niveau de la vertu les objets qui viennent de la fortune et ne pas attribuer à ce qui est honnête un pouvoir plus grand qu’à ce qui ne l’est point. Quoi de plus honteux, quoi de plus indigne que de comparer ce qui mérite notre respect à ce qui n’est digne que de nos mépris ? Or, la vénération n’est due qu’à la bonne foi, à la justice, à la piété, au courage, à la prudence. Au contraire, on doit mépriser des qualités qui souvent se trouvent avec le plus de perfection dans les êtres les plus vils, comme une jambe solide, un bras nerveux, des dents saines et fermes. Ensuite, si le sage, dont le corps est incommodé, n’est ni heureux, ni malheureux, mais se trouve dans un état indifférent, il ne faudrait ni désirer, ni craindre sa façon d’être. Or, quoi de plus absurde que de dire : « L’existence du sage n’est point à désirer ? » et que peut-on supposer de plus inouï qu’une vie qu’il ne faut ni désirer, ni craindre ?

Ajoutons que si les disgrâces corporelles ne rendent pas un homme malheureux, elles lui permettent d’être heureux ; car des maux incapables de rendre sa situation pire n’ont pas même le pouvoir de troubler son état de bonheur. — « Nous connaissons, dit-on encore, le froid et le chaud ; entre les deux est le tiède. Ainsi, un homme est heureux, un autre est malheureux, un troisième n’est ni heureux, ni malheureux. » — Cette comparaison qu’on nous objecte, je veux en faire jus-